Diplôme de fin d'études - TPFE 1992
Proposition d’aménagement des berges de Garonne à Bordeaux
Directeur d’Etudes : Jacques Hondelate / Architecte / Enseignant
Bruno Hubert / Architecte / Enseignant
Philippe Carré / Plasticien / Enseignant
Philippe Veilletet / Ecrivain
SOUTENANCE / ORAL DE DIPLOME / Décembre 1991
Je commencerais tout d'abord par exposer quelques généralités sur le choix du sujet de l'étude, le moment du diplôme. Je n'ai jamais réussi à relativiser ce moment. Il me semble que plus tard, il sera là, tatoué quelquepart, comme une trace publique de ce vers quoi on choisie de tendre. Condamné à avoir un souvenir qui hante, il fallait tenter de toucher du doigt des choses présentes, et intemporelles. Je considère le moment du travail de fin d'étude comme un temps accordé à mettre en place des éléments accumulés aux cours d'un nombre conséquent d'années, passées à fréquenter des salles de classe, amphithéâtres, ateliers. A cottoyer depuis l'enfance un savoir qui raconte, qui dicte, qui note, qui assiste. A ces années d'étude s'ajoute les changements, les passions, les échecs, l'apprentissage du travail, l'apprentissage de la vie. Ce travail doit avant tout permettre d'essayer de se comprendre soi, de confirmer l'essentiel de ses envies. Pas seulement dans le sens d'une pratique professionnelle. Mais surtout dans celui d'une attitude sociale, qui ne peut plus être innocente. Pour effectuer ce retour, j'ai choisi de travailler sur un projet intime, de petite échelle, afin d'en maîtriser au mieux son contour formel et d'appliquer des modèles architecturaux simples, simplement. Ce travail peut se raconter de différentes façons.
Il aura été un aller-retour incessant entre introspection et prise en compte d'une réalité. L'introspection c'est elle qui détermine l'attitude de conception qui tente de dépasser la réalité. La réalité, c'est le cadre, l'environnement, le contexte, les acteurs, c'est elle qui impose. Cela peut se raconter de différentes façons, les entrées sont multiples, si ce n’est qu’à un moment donné, tous les éléments doivent se retrouver en place. C'est peut être tout simplement, pour un projet d'architecture, le choix d'un site. La suite nous étant dictée....chacun sa suite après tout.Si la contextualisation excessive ne sous-entend que la dilution.
Le projet est avant tout parti d'une volonté de travailler auprès de l'eau. Une attirance incommunicable. Bâtiment thermal, bains, je ne savais pas bien. "Etre né de la lèvre d'un fleuve, c'est tomber d'un livre".
Les rencontres avec des gens, des ouvrages, des images ont précipité les événements. Le choix d'un site lancerait le départ constructif de l'étude. Je suis né rive droite sur les quais, j'habite rive gauche. De la fenêtre de mon appartement (en se penchant) j'aperçois le fleuve. Un travail personnel de fin d’étude n’étant qu’une fiction, la construction imaginaire du projet devait pouvoir tout de même permettre de changer quelque chose à ma vie, à la vie de mes amis, et par extension à la vie d'autres gens. Le temps d’une soutenance. Et s’incruster comme un roman. La littérature permet de dire ce que l’on ne peut pas vivre.
L'eau, à Bordeaux c'est la Garonne. Actuellement les berges sont sources d'intêrets architecturaux. J'ai vu les propositions, les dessins de projets. J'étais effrayé par le projet de Boffil. Un contre-projet prenait racine. Guinguette chez Alriq. Le choix du site s'est imposé de part sa situation (présence de l'eau, qualité paysagère, proximité ville, Boffil,...) , son caractère anticonformiste, sa fonction commerçante me dérangeait.
Je peux raconter ce projet de différentes façons, par exemple: En faisant des recherches sur l'eau, je rencontre Bachelard. Il me raconte des histoires de mélancolie, de dissolution, de passeur, de mort, de cercueil ancestral, troncs d'arbres évidés jetés sur les flots. Je veux travailler sur de petites choses, je recherche mes souvenirs d'apprentissage de l’espace, de l'architecture, la cabane s'impose. La cabane comme refuge. J'étudie l'histoire de La Bastide, j'apprends qu'elle était une île, un lieu dépendant mais insoumis au pouvoir de la cité Bordelaise. Cette révélation m'enchante, ce sera elle qui confirmera mes intuitions inavouées, qui rassemblera les idées éparses qui restaient entre guillemets. Le contre-projet, le refus, le refuge, ne signifient pas un travail en négatif, mais un travail positif sur la négation d'idées qui me semblent fausses. Par rapport à la plaquette, j'ai voulu écrire des choses sincères. Je pense que nous avons une conscience plus littéraire que visuelle. L'écriture est une pratique que j'ai voulu entretenir. En alignant des mots, on joue à comprendre. Penser une chose et son contraire ce n'est pas rien penser. Un peu d'espace les sépare et le sens s'en échappe. Une phrase écrite ne nous appartient pas. On comprends alors la force du signe. Il y a des emportements faciles dans l'écriture. C'est la même chose en architecture.
EXTRAITS DE LA PLAQUETTE
Cette histoire a commencé le 9 mai 1964, à Floirac (33. L'étude proprement dite s'est enclenchée sans le savoir, à Bordeaux, au printemps 1989, lors de l'inauguration de la guinguette:
CHEZ ALRIQ / "LA COMPAGNIE DU FLEUVE".
"Direction rive droite toute. D'un côté le bateau des pompiers et celui des scouts marins, les étalages d'aloses, les jardins abandonnés des quais de Queyries, une roulotte de gitans, du linge qui sèche. De l'autre les façades murées, les vestiges de la gare d'Orléans, les immenses terrains nus réservés pour l’avenir… Au centre, une parcelle absente de toute carte.
Il y a du monde. Des réactions d'étonnement unanimes. Un lieu chaotique, en chantier, entouré d'entrepôts - dont deux d'un très beau bleu - d'une vase sombre, d'une eau épaisse sur laquelle barbotent des Canards-WC, d'acacias et de saules poussiéreux, de roseaux englués, de voies ferrées menant nulle part, délaissées par le papier de verre. Tout paraissant si loin de tout, ville hors la ville, banlieue profonde et si proche de la ville en face, qui flotte.
Des abris esquissés de parpaings de béton, de cabanons de bois, de caravanes. Des cartons étalés sur la terre pour danser sans poussière. Une longue table en bois couverte d'une nappe de papier blanc et de bouteilles pour le vent. Quelques autres, disséminées sous les arbres. Des guirlandes électriques multicolores (dérobées sur les sapins de noël municipaux). Dans l'obscurité, des profils de carcasses de voitures. Une tentative de terrassement hasardeuse constituée de matériaux de récupération provenant de divers chantiers.
Une barque passe. Deux pêcheurs jettent à terre leurs aloses puis rentrent chez eux vers Bassens ou la cité Lumineuse. Une couleuvre passe. Un repas barbare, une ambiance tribale autour d'un méchouis. Le physique réagit, on peut courir, sauter, on n'est plus en attitude de ville. Les toilettes sont au fond du jardin à gauche, et même plus près quelquefois. Les chiens finissent nos os. Les ragondins.
Chacun retrouvera, sa portion de ville, son appartement, mais plus tard. Pour l'instant, un ciel énorme au-dessus de nous, une obscurité plaisante à la majorité d'urbains-campagnards que nous sommes, des étoiles filantes de braises, mais ici beaucoup de longueur, et c'est horizontalement que se portent les regards. Chacun face à ses souvenirs, au fleuve et à sa mélancolie en mouvement. Une disposition, un point de vue nouveau sur Bordeaux, sur la largeur vénitienne de la Garonne, sur les noirs écrans des hangars devant les façades XVIII°.
En une soirée se déroulait un week-end campagnard. Un lieu venait de naître, comme à la sortie d'un virage." Bordeaux, mai 1989.